Géopolitique et PME
Sous prétexte de fonctionner au jour le jour et d’entretenir une certaine (inter)dépendance de sauvegarde avec les donneurs d’ordres ainsi que les pouvoirs publics et consulaires, mais alors qu’elles doivent d’autant plus travailler par anticipation et scénarii pour maintenir et optimiser leur fonctionnement, leur développement et leur pérennité, il est souvent dommageable de constater que les dirigeants ou commerciaux de PME, qui ne prendront d’ailleurs pas le temps de lire cette page et négligeront certains événements même en ligne, ne s’intéressent pas aux réalités géopolitiques et leurs risques liés en terme de coût, délai et performance. Reste à savoir quelle est vraiment la cible à sensibiliser et si cette possible responsabilisation pourrait-elle remettre en question certains écosystèmes.
Par François CHARLES
Economiste, conseil en stratégie et management, relations européennes et internationales, ancien responsable offsets, Europe et Asie au Service Central des Affaires industrielles de la DGA.
Une des définitions de la géopolitique du grec γη « terre » et πολιτική « politique » pourrait être l'interdépendance entre le positionnement géographique d'un Etat, de son groupe d'appartenance, de ses voisins, de son continent et prochainement de l'espace avec ses conséquences économiques, industrielles, climatiques, relationnelles, politiques, militaires, environnementales, sociales, humaines ...
Les réalités sont différentes si l'on possède de l'eau, du pétrole, des terres riches ou pauvres, des sources d'énergie, un accès ou non à la mer, si l'on est plutôt peuple des plaines ou des montagnes, si l'on possède un ou 10 voisins, si ce ou ces derniers sont de petits ou de grands pays. La géopolitique concerne aussi bien les moyens de transports et de communications que la monnaie, le luxe, tourisme en passant bien entendu par l’industrie, la recherche, l’énergie et la défense dont l’armement. Si les décisions sont prises par certains, les troubles de géopolitique touchent en cascade de nombreux secteurs de l’économie, devant de facto souvent agir par solidarité.
Si les grands groupes sont les principaux donneurs d’ordre, les PME sont majoritaires en terme d’emplois et apparaissent comme des vecteurs de partenariats (coopération, collaboration, alliance) intra ou extra européennes. On peut se poser la question si la solidarité entre l’Etat et le tissus industriel, déjà hasardeuse en temps normal, peut être effective en temps de crise militaire ou économique à travers le monde. Les petites structures, qui certes ne semblent vivre en microéconomie dans un rayon géographique limité et sous bienveillance de leur sacro-sainte chambre de commerce, ne devraient-elles pas se poser elles-mêmes la question de l’impact de certaines décisions controlables ou non, sur leurs ventes, leurs achats les délais d’approvisionnement sans attendre la nouvelle aide providentielle. Sans pour autant faire de politique néfaste aux affaires, ne devraient-elles pas décider de leur avenir plutôt que subir des coups de théatre commerciaux sans en avoir imaginé les liens évidents avec des réalités non économiques ? Les PME doivent-elles laisser la « géo »politique aux grands groupes qui paradoxalement ne les éduquent pas, parfois bien désarmés eux-mêmes ou pensant avoir tout compris mais répétant de sempiternelles erreurs, et savent encore remplacer leurs sous-traitants d’un coup de crayon en cas de besoins de contreparties, contraires aux règles internationales, mais décidées par certains Etats acheteurs, au risque de les voir disparaitre ou de changer de client privilégié.
Comprennent-elles pourquoi et quand les grands industriels savent s’élever contre les sanctions économiques prises, non pas vers des pays mais des dirigeants et quelques produits spécifiques, par leur administration de tutelle qui leur facilitent et autorisent pourtant aussi leurs contrats à l’export dans les domaines sensibles et très technologiques ? Comprennent-elles les scénarii qui risquent d’arriver à nouveau avec la Russie avec leurs causes et conséquences ? Quels sont les risques liés à la Turquie ? Pourquoi Dassault peut décider ou non de poser une offre en Europe ? Pourquoi les pays européens achètent des F-35 au détriment de certains produits technologiques ou protègent leurs sources d’approvisionnement au-delà de simples considérations de prix et de technique ? Pourquoi les contrats australiens mirobolants ont d’un coup été annulés ? Pourquoi les Chinois développent une réelle stratégie sur certains achats quand les Européens fonctionnement encore souvent comme un club d’affaires ? Pourquoi les importations de Lituanie sont interdites avec la Chine suite à l’installation d’une représentation de Taïwan ? Pourquoi ces mêmes Chinois sont soutenus par l’OMC face aux hausses douanières étasuniennes et non celles européennes sans doute moins élevées ? Pourquoi les solutions européennes paraissent de facto construites avec des solutions « alliées » étasuniennes ? Pourquoi les normalisations nationales et européennes sont à la fois des protections et des armes commerciales ?
Certaines entreprises se détachent parfois avec courage comme Sagem en son temps, se musclent pour devenir ETI ou se regroupent en cluster pour chasser en meutes, voire en escadre à leur façon avec des compétences complémentaires mais de même taille. Misons pour qu’il existe en leur sein une dynamique de politique générale adaptée avec des corrélations entre stratégie, identité, structure et prise de décision incluant une réflexion permanente de géopolitique. Le salut viendra peut-être aussi des salariés qui choisiront eux-mêmes des formations de sensibilisation adaptées.
Les start-up, beaucoup plus souples et réactives, souvent gavées de millions d’euros sans avoir même lancé de production, avec des dirigeants souvent plus formés et ouverts, comprenant souvent mieux certains signes et sachant se transférer dans d’autres pays avec d’autres couveurs et financeurs bienveillants, oubliant vite leurs parrains initiaux, sont sans doute elles-mêmes une composante de géopolitique particulière.