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Publié par NOVIAL INSTITUTE SAS

Un jour, un capitaine d’industrie rend visite à l’arbre le plus
majestueux de la grande forêt du monde, et lui tient ces propos :
— Messire arbre, il y a vingt ans j’ai créé une petite entreprise.
Trois ans plus tard, nous étions vint-cinq avec trois produits.
Au bout de cinq ans nous étions cinq cents avec cinq produits
sur trois pays. Passés dix ans, nous étions mille avec dix produits
sur dix pays. Au bout de quinze ans, nous étions dix mille avec
vingt produits sur quinze pays. L’an dernier j’ai fait le point :
nous sommes vingt mille avec vingt-cinq produits sur vingt
pays. Nous avons racheté la moitié de nos concurrents connus.
Aujourd’hui, je me pose une question – votre sagesse ne pourra
que m’éclairer : j’ai le sentiment de ne pas être à l’abri et j’ai
peur de ne pas apercevoir à temps le début du précipice.
Jusqu’où continuer ?

tiré des Fabliaux du Management par François CHARLES

L’arbre vénérable regarde l’homme :
— Tout d’abord merci de me consulter. Plus personne ne vient
me voir, ne me regarde ni me prête attention ces temps-ci,
comme si on avait pris l’habitude de ma présence ou comme si…
Tu me vois aujourd’hui en majesté. Pourtant, tout ne fut pas
facile. La loi de la jungle est applicable aussi aux arbres et aux
végétaux. Au départ, il y a bien longtemps, était un terrain en
friche, avec des buissons, des épines, de l’herbe, le tout enchevêtré.
Peu à peu, des graines enfouies depuis un certain temps,
apportées par le vent, les oiseaux ou un marcheur, donnèrent de
jeunes pousses. Vigoureuses, elles prirent bientôt le dessus. J’en
faisais partie. Ayant besoin de nourriture, nous prîmes celle de
nos voisins, qui moururent un à un. Nous poussâmes encore et
les broussailles affamées disparurent. Vint alors le temps de la
lutte entre les plus forts. Sur dix arbustes n’en subsistèrent que
cinq, puis trois, puis un seul dans un rayon de vingt-cinq mètres :
moi, qui suis bien seul en définitive. Mes branches et mes feuilles
s’étendent au loin et ma cîme atteint plus de trente mètres. Le
soleil peut enfin de nouveau éclairer le sol de la forêt. J’aurais pu
me débrouiller seul pour combattre et survivre, mais l’homme
m’a aidé, je le reconnais. Il a lui-même éclairci la forêt au
moment de ma plus belle croissance et m’a épargné. Mais qui
donc t’a envoyé à moi ?


— Tout le monde parle de toi, répond l’homme
— Ah, je vois. En tout cas, cela ne vient pas jusqu’à moi. S’agitil
de ma magnificence ou des jours qu’il me reste à vivre ?
Regarde autour de moi. Que vois-tu ? Regarde bien, retournetoi.
Depuis trois ans des graines poussent près de moi. Elles
attendaient le soleil depuis une trentaine d’années. De jeunes
arbres vont bientôt montrer leur vigueur. Mes racines sont
désormais trop longues pour empêcher la croissance de ces
arbres… si proches. Un beau jour, ils me détrôneront. Je suis
monté si haut que je ne les ai pas vus. Il est maintenant trop
tard et j’ai l’impression que tout le monde désire ma mort à
présent. J’ai appris à être philosophe : tout n’est que cycle et il
faut passer la main. Je pense t’en avoir assez dit.


À la fin de cette conversation notre homme prend son
téléphone portable et contacte son secrétaire général :
— Réunion demain matin. Ordre du jour : vente des filiales
inutiles, recentrage sur les métiers et les clients prépondérants,
préparation de ma succession. Dites à mon assistante d’annuler
mes rendez-vous du mois prochain, de m’organiser un tour du
monde et d’appeler mon médecin pour faire un contrôle
complet.
Puis il appelle son épouse :
— Chérie, ce soir je dîne à la maison.
Il regarde l’arbre de nouveau :
— Merci, cela fait trop longtemps que j’attends ce message.
Quand je pense à tous mes collaborateurs et partenaires en qui
je pensais avoir confiance…
Il part, la larme à l’oeil mais soulagé.

Enseignement


Tout n’est que cycle, taille critique, survie. Tout le monde, toute
chose meurt un jour naturellement, accidentellement ou
de façon provoquée. Méfiez-vous des envies boulimiques.
Remettez-vous en cause et sensibilisez votre environnement
régulièrement. Montrez vos préoccupations : la chute sera
moins grande car la convoitise moins aiguë. La taille critique
de l’arbre l’a empêché de voir les jeunes pousses, donc la faille,
là où il ne s’y attendait pas. Il est seul désormais, à un moment
où il aurait vraiment besoin d’aide. L’éléphant, le plus gros
animal de la brousse, n’a pas d’ennemi, au moins en apparence.
Aussi imposant soit-il, verra-t-il la petite souris entrer dans sa
trompe et le rendre fou ?
Au cours des conférences en management stratégique, j’ai
pour habitude de projeter un arbre et de poser la question : « Si
je vous parle de mondialisation, que vous inspire un arbre dans
une forêt ? »


Certains ne voient rien ou ne voient plus rien quand
d’autres m’énoncent clairement la théorie des cycles. Or,
détrompez-vous, les plus loquaces ne sont pas forcément les
plus âgés et gradés. Certains font semblant de tout savoir mais
sont contents de profiter d’une question posée par un autre
pour prendre des notes ! Ils sont tout simplement déconnectés
de la réalité. Par eux-mêmes volontairement ou par leur
entourage, qui n’ose pas ou ne veut pas parler, voire par leur
assistante qui décourage toute tentative d’approche constructive
avec les collaborateurs ou certains clients, fournisseurs, prestataires
ou consultants.


Plus vous prenez de l’importance, plus vous on vous cache
de choses car de facto vous ne pouvez plus les voir. Ne négligez
pas les collaborateurs consciencieux qui osent franchir le cap
de votre assistante, qui sait pourtant manier le bâton même si
votre porte est ouverte. N’a-t-elle pas pris trop d’importance ?
Serait-elle devenue l’homme clé illégitime de l’entreprise ? Et
qu’en est-il de votre chef de cabinet ? N’est-il pas en train
s’accaparer la stratégie de l’entreprise ? Qu’en pensent vos
cadres ou collaborateurs ? Les wagons sont-ils toujours
accrochés à la locomotive ? Votre système d’information est-il
top down ? bottom-up ou bottom-up-down et transverse,
favorisant notamment le retour d’expérience ? Qui est le patron
chez vous ? Vos cadres viennent-ils toujours vous voir ? Pourquoi
vous envoie-t-on davantage de courriers électroniques, au
risque de déstabiliser l’ordre hiérarchique avec les impacts
directs ou indirects sur les hommes et les organisations ?
Le directeur local d’une grande banque me rétorqua un jour
que cette vision de l’arbre et de la mondialisation n’était pas
très terre à terre. Je lui ai répondu que le banquier devait au
contraire faire circuler ce type images compréhensibles par tous,
et ne pas uniquement parler d’argent.


Dure est la chute pour les entreprises qui n’ont pas su
analyser régulièrement leur santé et celle de leurs concurrents,
ou s’apercevoir des problèmes de taille critique. La faille
apparaît généralement le jour où elles ne s’y attendent pas.
Qui aurait pu se douter de la montée fulgurante du « germe »
Microsoft et de son fondateur, qui travaillait autrefois chez
IBM ? Combien de temps se souviendra-t-on de l’UAP « n°1
oblige » ou d’Arthur-Andersen, un des temples de l’audit,
disparu sans doute pour s’être trop reposé sur son image de
marque ?


Les crises disparaissent souvent par un simple élan de
volonté collective ou sont évitées par une conjonction d’éléments
qui, ensemble, créent une nouvelle dynamique.
L’euro est le ciment fondateur réel de l’Europe. Jean Monnet
disait à son époque que l’Europe se ferait avec sa monnaie ou
ne se ferait pas. Quarante années ont été nécessaires. La fenêtre
s’est ouverte juste à temps et suffisamment longtemps pour que
le mouvement créateur soit impulsé. Une année supplémentaire
aurait été suffisante pour repousser, voire interdire ce stade
de la construction. Souvenez-vous : la crise asiatique ne nous
effrayait pas, pas plus que celle qui sévissait aux États-Unis.
Quand les soubresauts ont atteint la Russie, l’Europe a
commencé à s’enrhumer. Mais le mécanisme était lancé, les
banques centrales ont mis tout leur poids pour équilibrer la
mise en oeuvre. Les taux d’intérêts ont même davantage baissé.
Aujourd’hui, l’euro fait face au dollar et gagne du terrain
comme valeur de référence dans certains pays ou pour certains
produits.


Par ailleurs, plus l’Europe gagne en force, plus les particularités
remontent et réapparaissent comme les langues, les
savoir-faire nouveaux ou les niches. Dans notre exemple de
l’arbre et de l’entreprise comme pour Microsoft, il s’agit bien
de particularité. Plus l’entreprise se croit en situation de
monopole, plus elle court le risque de faire germer des métiers
nouveaux. À elle de savoir les porter plutôt que de les subir.
Pour en terminer et vous inviter à nouveau à penser
autrement, je dirai volontiers qu’être anti-mondialisation, c’est
ne pas vouloir profiter de la mondialisation. Lors de mes
interventions sur l’euro, je commençais mes exposés en
répondant d’abord aux objections et en donnant une mission
à chaque auditeur, jeune ou vieux, pour mieux en faire
comprendre et accepter les enjeux : celle de devenir les
« ambassadeurs de l’euro ». Le chemin était tracé.


FABLES ET TABLEAUX CHOISIS
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l'Arbre et la mondialisation (les Fabliaux du management)
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